Incendie, le risque dont on ne parle pas
- newdeskarl
- 27 mai 2020
- 5 min de lecture
Gestion des risques et des désastres
Publié le 2018-12-27 | Le Nouvelliste

C’est avec beaucoup d’amertume que j’ai observé la séquence des incendies dévastateurs qui ont sévi dans le pays ces dernières années dont l’incendie de plusieurs marchés du centre ville de Port-au-Prince, du marché de Carrefour, du marché de la route de Frères à Pétion-Ville, d’une pompe à essence à Hinche avec perte en vie humaine, d’une autre pompe à essence à la ville de Gros-Morne, … et, plus récemment, l’incendie de ce patrimoine médiatique et historique, le local de la Radio Kiskeya en date du 21 décembre 2018. Cela m’a particulièrement touché parce que j’ai fini par remarquer que la majorité d’entre nous considère encore un incendie comme un simple accident, quelque chose qui arrive par manque de chance. Non, un incendie est un risque comme les autres et qu’on peut prévenir.
Le risque
Comme tous les risques, le risque d’incendie est composé d’une menace et d’une vulnérabilité. Pour avoir un incendie ou tout simplement une combustion, il faut trois ingrédients essentiels: 1) un combustible (une substance qui peut brûler); 2) un comburant (oxygène, acide nitrique, chlorate de sodium …); et 3) une énergie d’activation qui est généralement une source d’énergie thermique comme facteur déclencheur. Les incendies d’origine naturelle sont rares (moins de 10%). Les feux de forêt (dans les pays qui en ont) ont lieu le plus souvent en période sèche et de forte chaleur. Les végétaux sont en manque d’eau et deviennent de bons combustibles, l’oxygène de l’air étant le comburant, il suffit d’une petite étincelle (énergie) pour déclencher l’incendie. Cette étincelle peut provenir de la foudre et des orages secs. Mais le plus souvent, le déclencheur est d’origine anthropique; cela peut être un mégot de cigarette mal éteinte lâchée dans la nature, des activités récréatives comme un barbecue ou encore des étincelles provenant de câbles électriques.
Le risque d’incendie est aussi présent pour d’autres types de combustibles. En Haïti, en absence de forêt, ce risque est surtout anthropique. Il est peu étudié et négligé par rapport aux risques naturels. Les bâtiments sont vulnérables car presque tous les objets à l’intérieur sont des combustibles. Le comburant, l’oxygène étant relativement toujours présent, ce sont les sources d’énergie d’activation qu’il conviendrait de maîtriser.
Et le SNGRD dans tout ça ?
Il y a eu beaucoup d’incendies en Haïti ces derniers temps. Que disent les enquêtes ? Qui sont les coupables ? Même si certains départs de feu ne sont pas dus à des mains criminelles, les résultats des enquêtes sont tout aussi importants. Ils permettraient de constituer une banque des erreurs connues et faire des préventions adéquates. Depuis quelques temps, la Direction de la protection civile (DPC) se contente de ne faire que le bilan des incendies. Pourtant, c’est un risque comme les autres et doit faire l’objet d’une stratégie de gestion sérieuse. Une gestion du risque en amont et une gestion des désastres en aval. C’est l’affaire de tout le Système national de gestion des risques et des désastres (SNGRD). La société ne peut pas s'en remettre uniquement aux sapeurs-pompiers pour gérer le risque. Leur rôle est d’éteindre le feu.
En parcourant un article de Frantz Duval et Jean-Philippe Étienne sur l’événement, j’ai appris que ce vendredi noir aurait pu être évité si l’institution de lutte contre incendie avait été opérationnelle et efficace. Les sapeurs-pompiers sont arrivés 1h30 après l’événement. 1h30 ! Y a-t-il eu des embouteillages ? Non, on était en fin de soirée. Venaient-ils de loin ? Non, ils sont à deux pas de la radio. Cette institution a tout simplement failli à sa mission. J’imagine la frustration des dirigeants de la radio qui assistaient à la destruction complète de leurs locaux à cause de l’inefficacité du service qu’ils payent avec leurs taxes.
Ce n’est pas la première fois que les sapeurs-pompiers n’arrivent pas à temps. Il faut qu’on commence à réfléchir et à nous poser un certain nombre de questions. Le problème est-il plus large qu’on ne le pense ? À quand remonte le dernier entraînement de ces agents ? De quand date la dernière promotion du corps des sapeurs-pompiers ? Ne sont-ils pas proches de la retraite et que les jeunes n’ont reçu qu’une formation au rabais ? Combien sont-ils ? Sont-ils équipés ? Est-il nécessaire de les garder sous le leadership de la PNH ?
Des idées pour la gestion du risque
Après l’incendie de Radio Kiskeya, des appels à solidarité fusent de toutes parts. C’est très bien. Mais, disons-nous aussi « que faire pour que cela ne se reproduise plus ? »
Le risque d’incendie doit être géré comme tous les autres. Des campagnes de sensibilisation doivent être conçues pour expliquer aux Haïtiens comment être vigilants, comme ne pas dormir avec une bougie allumée, ne pas dormir si l'on a quelque chose en cuisson dans la cuisine, ne pas placer les spirales anti-moustiques près de combustibles (les placer dans un récipient métallique par exemple), ne pas fumer près de produits inflammables, isoler les câbles électriques pour éviter des étincelles, entre autres.
Dès la conception d’un bâtiment (surtout institutionnel), des mesures doivent être prises pour minimiser ce risque : un plan d’évacuation en cas d’incendie doit être élaboré, des portes coupe-feu doivent être prévues. Ces portes sont là pour empêcher la propagation du feu d’une partie à une autre du bâtiment. Des détecteurs de fumée doivent être installés. Les institutions doivent être obligatoirement équipées d’extincteurs et tous les employés formés à leur utilisation. Et faire des exercices de simulation une nécessité.
Quand l’incendie est d’une main criminelle, la loi prévoit ce qu’il faut faire. Les instruments légaux font partie intégrante des plans de prévention des risques. Il faut les utiliser. Si le criminel est puni conformément à la loi, la prochaine fois il réfléchira avant de commettre un tel acte. De plus, ce criminel peut bien souffrir de la pyromanie. Pourquoi pas des diagnostics et accompagnements ? Apprenons à approfondir les problèmes pour trouver des solutions durables.
Si les pompiers arrivent souvent en retard, c’est peut-être parce qu’on n’en a pas assez ou pas assez de postes. Une stratégie adaptée à notre réalité serait de former des sapeurs-pompiers volontaires, un peu comme les scouts. Nous avons beaucoup de jeunes qui ne font rien et qui sont marginalisés. Ce serait une stratégie d’intégration sociale digne et durable. Ils auraient du respect et de la reconnaissance.
Dans certains pays, quand on appelle les pompiers, en 5 minutes ils sont sur place. Pourquoi ? Parce qu’ils sont toujours à côté. Si nous créons des postes à des intervalles réguliers, où que nous soyons, les pompiers seront toujours juste à côté. Il nous faut aussi des bouches d’incendie pour alimenter les fourgons à tout moment. Les sapeurs-pompiers volontaires ne seraient pas là seulement pour le feu, ils pourraient apporter un large éventail de secours. Nombreux, ils pourraient se permettre un taux de rotation élevé. Un agent volontaire pourrait ainsi avoir également une activité rémunérée entendue avec l’institution.
Newdeskarl Saint Fleur
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