La sismologie citoyenne a aidé à déchiffrer le séisme du 14 août 2021

« L’évaluation rapide du mécanisme du séisme des Nippes de 2021 et de ses répliques a été rendue possible grâce à des sismomètres bon marché hébergés par des citoyens, corroborée par des informations provenant des données classiques de sismologie et de géodésie ». Telle a été l’une des premières conclusions de cette étude menée par les professeurs Eric Calais (ENS, Paris, France) et Steeve Symithe (UEH/FDS, Port-au-Prince, Haïti) et leurs collaborateurs internationaux sur le séisme ayant frappé Haïti du 14 août 2021 et publiée dans la revue Science (1).

Lancé en 2019, ce projet de sismologie citoyenne installe des capteurs sismologiques à faible coût (< $1000 le sismomètre) chez des citoyens avec deux objectifs principaux : 1) les impliquer dans l’acquisition d’informations sismologiques pour le pays et augmenter la sensibilisation aux séismes et promouvoir des initiatives de protection ; 2) compléter le réseau sismologique national constitué de sismomètres dits large-bande, un système Hi-Tech complexe et coûteux (> $30000 par station) qui est souvent confronté à des problèmes logistiques et de maintenance.

Le séisme du 14 août 2021 est arrivé comme un sérieux test pour ces sismomètres bon marché appelés Rasberry Shake (RS) hébergés chez des citoyens baptisés « sismo-citoyens ». Le séisme a été enregistré par cinq sismomètres en Haïti : trois RS hébergés par des citoyens autour de la zone épicentrale et deux stations conventionnelles à Port-au-Prince. Les stations de Port-au-Prince sont un accéléromètre installé par l’institut de géophysique américain (USGS) à l’ambassade américaine et l’autre située au collège Catts Pressoir dans le cadre du programme « Sismo à l’école ». Le séisme des Nippes a été détecté et caractérisé avec une magnitude de 7,2. Il a donc libéré 40 % plus d’énergie que celui du 12 janvier 2010. Ces caractéristiques établies à partir des RS sont cohérentes à celles des meilleures agences sismologiques du monde.

Au 9 septembre 2021, le réseau sismique citoyen et les stations sismiques conventionnelles régionales localisées à 120 kilomètres de l’épicentre avaient déjà détecté 1031 répliques dans une gamme de magnitude de 1,4 à 5,8. À titre de comparaison, seulement 37 répliques étaient disponibles dans le catalogue de l’USGS pour la même période. Les données fines obtenues grâce au réseau citoyen ont permis de relocaliser l’épicentre du séisme du 14 août 2021 à la latitude 18,42°N et à la longitude 73,51°W. La profondeur du séisme, elle, se trouve entre 6 et 19 kilomètres.

Les auteurs de l’étude ont aussi été capables de faire des prédictions sur la fréquence, la magnitude et la quantité des répliques dans les jours et les semaines suivant le séisme principal. Cette information doit être capitale pour l’intervention de la protection civile et des agences humanitaires.

En termes de failles impliquées, ces données sismologiques ont permis d’identifier deux failles ayant contribué à faire trembler la Terre sous les pieds des Sudistes ce matin d’août 2021 : l’une participant à 45 % s’est déplacée parallèlement à la surface du sol (faille dite « décrochante ») et l’autre à 55 % dans un mouvement relativement perpendiculaire à la surface (faille dite « inverse »). Et la rupture s’est propagée unilatéralement de l’est (L’Asile) vers l’ouest (Camp-Perrin) à une vitesse moyenne de 2,8 kilomètres par seconde sur une distance de 50 à 60 kilomètres.

Des données obtenues par satellite ont confirmé ces résultats. La principale faille d’Enriquillo, qui a une forte composante inverse, serait celle dont le glissement lors du séisme comptait pour 55 %. À l’ouest, ces données montrent un plan de faille glissant de manière décrochante ; sa trace en surface coïncide avec celle de la faille de la Ravine du Sud, une faille secondaire récemment cartographiée avant le séisme (2). À l’est le glissement était de 1,90 mètre sur la faille d’Enriquillo et à l’ouest il était de 2,3 mètres sur la faille de la Ravine du Sud. En clair, une personne se trouvant au voisinage immédiat de cette faille lors du séisme se verrait projetée de 2,30 mètres plus loin!

Le séisme du 14 août 2021 s’est produit dans une zone où le séisme du 12 janvier 2010 avait fait augmenter les forces telluriques localement, favorisant un nouveau séisme dans cette zone. Cette rupture est arrivée seulement 11 ans après. Mauvaise nouvelle, les deux séismes ne sont pas contigus laissant une section de faille longue de 60 km, entre Grand-Goâve et L’Asile, qui n’a pas rompu depuis le 18e siècle. Les deux séismes ont donc augmenté la menace sismique dans le Sud d’Haïti, ce qui doit être pris en compte dans les politiques urbaines et d’aménagement du territoire.

Quand on n’a pas d’argent, il faut des idées. Mais aussi de la volonté. Avec très peu d’argent et de la participation citoyenne, le séisme du 14 août a été rigoureusement étudié. Les données de ces Rasberry Shake continuent d’être analysées par notamment des étudiants haïtiens dans le cadre de stages de master et de thèses de doctorat.

La participation citoyenne a été fondamentale. Les hébergeurs des sismomètres ne sont pas payés et sont sélectionnés entre autres sur la base de leur propre capacité à faire fonctionner les appareils en termes d’énergie électrique et d’accès à internet. Immédiatement après le séisme du 14 août, certains de ces compatriotes qui avant se plaignaient de problème d’internet, sont tout de suite partis acheter des gigaoctets de leur propres moyens. Le séisme leur a fait prendre encore plus conscience de leur rôle. Et ils ont enregistré toutes les répliques.

Bravo à tous les sismo-citoyens!

Newdeskarl Saint Fleur

newdeskarl@gmail.com

1.- Calais, E., Symithe, S., Monfret, T., Delouis, B., Lomax, A., Courboulex, F., ... & Meng, L. (2022). Citizen seismology helps decipher the 2021 Haiti earthquake. Science, eabn1045.

2.- Saint Fleur, N., Klinger, Y., & Feuillet, N. (2020). Detailed map, displacement, paleoseismology, and segmentation of the Enriquillo-Plantain Garden Fault in Haiti. Tectonophysics, 778, 228368.